Par Dr Sami Alboghobish
Ces derniers jours, un tribunal de Casablanca a condamné Ismaïl Lghazaoui, membre de la campagne internationale BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions). Ismaïl Lghazaoui est un défenseur des droits humains, militant pro-palestinien et ingénieur agronome marocain qui défend pacifiquement les droits du peuple palestinien et dénonce la normalisation des relations entre le Maroc et le régime sioniste.
Le 10 décembre 2024, coïncidant à la journée internationale des droits de l’homme, un tribunal de la ville de Casablanca au Maroc, a condamné le militant antisioniste, Ismaïl Lghazaoui, à un an de prison et à une amande de 5000 dirhams, la peine privative de liberté maximale, en vertu de l’article 299 du Code pénal marocain, au nom duquel Ismaïl a été accusé d’« incitation d’une ou plusieurs personnes à commettre un crime ou un délit » pour s’être adressé à des personnes dans la rue en les appelant à « assiéger » le consulat des États-Unis pour dénoncer la livraison continue de matériel militaire à l’armée d’occupation israélienne pour commettre le génocide dans la bande de Gaza.
Les personnes qui avaient participé à cette manifestation ont exprimé leur plein soutien à la nation palestinienne et ont vivement critiqué le processus de la normalisation des relations du Maroc avec le régime israélien, en demandant aux autorités marocaines d’arrêter les investissements marocains dans les territoires palestiniens occupés par le régime israélien.
Le Mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) est une campagne internationale qui a pour objectif de dénoncer la colonisation israélienne des territoires occupés palestiniens et de soutenir le droit au retour des réfugiés palestiniens.
Il y a quatre ans, vers la fin de l’année 2020, le Maroc s’est engagé dans un processus de normalisation des relations avec le régime sioniste. Suite à l’annonce de cette décision du gouvernement marocain, les États-Unis ont reconnu officiellement la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Peu de temps après, Washington et Rabat ont signé un grand contrat d’armement pour un montant d’un milliard de dollars.
La signature de l’accord de normalisation entre le Maroc et le régime israélien, le 22 décembre 2020, a eu lieu dans un contexte où le Maroc était confronté à une série de conflit et de rivalités, tant ouverts que latents, à l’intérieur du pays et au niveau de ses relations régionales et internationales.
Le Maroc a, depuis très longtemps, d’importants litiges territoriaux et frontaliers avec l’Espagne. Par ailleurs, le Maroc et l’Algérie partagent des points de vue très divergents en ce qui concerne le Sahara occidental, et ce, d’autant plus que Rabat et Alger ont interrompu leurs relations diplomatiques durant ces dernières années, en raison de la montée des tensions dans leurs relations conflictuelles.
Dans ce contexte, le roi Mohammed VI du Maroc continue d’exploiter la question de la Palestine comme un levier pour faire avancer ses projets et ses intérêts régionaux et internationaux.
Dans ce cadre, il adopte une position plus ou moins ambiguë vis-à-vis de la Palestine : en effet, en dépit de son engagement dans le processus de normalisation des relations avec le régime israélien, il maintient ses relations diplomatiques avec l’Autorité autonome palestinienne, basée à Ramallah en Cisjordanie, afin de s’en servir comme un levier dans ses jeux politiques pour réaliser ses objectifs régionaux et internationaux.
C’est dans ce cadre que le gouvernement marocain, présidé par le roi Mohammed VI, a donné son aval, il y a environ six mois, à la création de la première base militaire israélienne sur le sol marocain, près de Melilla, entre l’Espagne et l’Algérie. D’ailleurs, il existe un litige territorial entre le Maroc et l’Espagne, en ce qui concerne la souveraineté des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, situées au Maroc.
Par conséquent, les autorités de Rabat essaient d’exploiter politiquement la question de la Palestine en accordant au régime israélien de construire une base militaire dans une région marocaine située près de l’Espagne et de l’Algérie, ce qui met en danger la sécurité des deux pays voisins. Le but de Rabat est d’en tirer profit en obtenant des avantages et des concessions à la fois de la part de l’Espagne, de l’Algérie et du régime israélien.
Parallèlement à cette approche de politique régionale, le gouvernement marocain souhaite pouvoir faire confirmer sa souveraineté sur le Sahara occidentale et le faire accepter par un plus grand nombre d’États, surtout ceux disposant de grandes influences internationales.
Dans ce cadre, alors que les Jeux olympiques 2024 se déroulaient à Paris, et lorsque l’Algérie proposait l’avant-texte d’une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies pour condamner les crimes perpétrés par le régime israélien contre les habitants civils de la bande de Gaza, le Maroc et la France ont déclenché une campagne politique et médiatique contre l’Algérie, allant jusqu’à exploiter l’affaire des spéculations sur le sexe de la boxeuse algérienne, Imane Khelif.
Pendant la même période, le président français, Emmanuel Macron, a décidé d’augmenter les pressions sur l’Algérie, en reconnaissant dans une déclaration présidentielle, la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. En réaction à cette annonce, le ministère algérien des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur de France à Alger pour lui communiquer les protestations officielles du gouvernement algérien.
Cela étant dit, le Maroc a interrompu ses relations politiques et diplomatiques avec son plus grand voisin, l’Algérie, ce qui explique l’absence des représentants du Maroc lors de toutes les assemblées et les conférences réunissant les autorités des pays de l’Afrique du Nord.
Dans le même temps, les autorités marocaines adoptent une politique différente de celle de ses voisins nord-africains par rapport à l’afflux de la migration clandestine des Africains dont la destination est le continent européen.
Ces derniers mois, la Tunisie s’est opposée à la création des camps spéciaux pour les migrants clandestins afin d’empêcher leur entrée dans l’Europe, tandis que le gouvernement marocain a donné son feu vert à la création de tels camps. L’un des buts du Maroc est de profiter des prêts et des fonds qui seraient consacrés à la réalisation de ce projet. Mais Rabat souhaite aussi de profiter également du soutien de l’Union européenne dans le dossier controversé du Sahara occidental.
La politique intérieure du Maroc a également connu d’importantes évolutions. Là, il faut évoquer surtout l’arrestation et la condamnation d’Ismaïl Lghazaoui qui est un défenseur des droits humains, militant pro-palestinien, et qui dénonce la normalisation des relations entre le Maroc et le régime sioniste.
L’arrestation et la condamnation de ce militant marocain font partie d’une approche générale qui se conforme à la politique étrangère du royaume. Il y a deux mois, le gouvernement marocain a annoncé avoir reçu les demandes de nationalité marocaine de la part des descendants de juifs marocains, qui vivent actuellement en Palestine occupée en tant que citoyens israéliens, ou dans d’autres pays du monde.
L’opinion publique marocaine s’inquiète maintenant de l’offre de la nationalité marocaine aux juifs israéliens qui ont probablement participé au génocide perpétré par le régime de Tel-Aviv contre les habitants palestiniens de la bande de Gaza. Cependant, le gouvernement de Rabat préfère ne pas divulguer l’identité des personnes qui ont demandé la nationalité marocaine, en soulignant que ces personnes bénéficieront de tous les droits liés à la nationalité marocaine, sur les plans politiques, religieux, culturels, sociaux et économiques, en tant que citoyens marocains à part entière.
Dans ce cadre, quelque 1500 juifs d’origine marocaine qui ont remis cette demande aux autorités de Rabat, devront collecter 20 000 signatures à l’intérieur ou à l’extérieure du Maroc pour appuyer leur requête. Les analystes estiment que c’est une politique évidente, dont l’objectif est d’augmenter le nombre de citoyens juifs du Maroc, au moins sur le papier.
Par ailleurs, en été 2024, le gouvernement marocain a autorisé un navire militaire du régime sioniste transportant des armements d’accoster au port de Tanger. Il est intéressant de savoir que dans le même temps, l’Espagne avait rejeté la demande du navire israélien d’accoster à un port espagnol pour se ravitailler en carburant.
Dans le même temps, il convient ici d’évoquer les approches et les politiques de l’Algérie vis-à-vis du régime de Tel-Aviv, qui sont diamétralement différentes de celles de Rabat. En effet, l’un des buts du Maroc est d’exploiter les limites et la situation difficile dans lesquelles se trouve actuellement le régime de Tel-Aviv au niveau international, pour obtenir les faveurs et la coopération d’Israël pour agir contre les intérêts de l’Algérie et de l’Espagne.
C’est dans cette même logique que le Maroc développe sa coopération avec Israël pour la construction d’une base militaire israélienne sur le territoire marocain, non loin des frontières de l’Espagne et de l’Algérie. En ce qui concerne l’Algérie, la décision de Rabat est tout à fait provocatrice, car la circulation des navires de guerre israéliens dans la région sera considérée par l’Algérie comme une menace pour sa sécurité nationale.
Dans ses interactions avec la République islamique d’Iran, le Maroc a adopté une approche bien différente par rapport à la plupart des États arabes. Pendant plusieurs années, Rabat s’était mis au diapason avec l’Arabie saoudite, et simultanément de la rupture des relations entre Téhéran et Riyad, le Maroc a décidé de rompre ses liens diplomatiques avec la République islamique d’Iran.
Mais malgré la reprise des relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite, le royaume marocain est resté le seul pays, alliés de Riyad, qui n’a pas repris ses relations diplomatiques avec Téhéran.
En tout état de cause, il paraît que dans sa politique étrangère et sur la scène de ses évolutions internes, le gouvernement marocain a tenté de se servir de la question de la Palestine qui constitue une question stratégique et vitale pour le monde arabe et pour l’ensemble des pays musulmans, comme un levier pour gagner des concessions et un moyen tactique dans le cadre de ses intérêts régionaux et internationaux. Il se peut qu’une telle approche assure certains intérêts de Rabat à moyen terme, mais elle peut être préjudiciable à long terme pour le royaume.
Cette approche particulière est devenue aujourd’hui la cause d’un écart profond entre le pouvoir politique et l’opinion publique à l’intérieur du Maroc. Les protestations politiques et les inquiétudes quant au changement démographique du pays témoignent de l’approfondissement de ces écarts.
À l’extérieur, la politique étrangère du Maroc est confrontée à plusieurs défis, dont le plus important est sans doute la rivalité avec l’Algérie qui soutient le Front Polisario au Sahara occidental. En outre, la poursuite de la présence des migrants africains au Maroc et ses conséquences économiques et sociales risquent de devenir à long terme la source d’autres défis pour la sécurité nationale du royaume marocain.
Le Dr Sami Alboghobish est un expert des questions de l’Afrique du Nord.